Décision n°2018-738 QPC du 11 octobre 2018 M. Pascal D. (Absence de prescription des poursuites disciplinaires contre les avocats) (3/2018)

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2018

Osservatorio sulle fonti / Observatory on Sources of Law

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Section: Sources of Law in the EU member States

FRANCE

By Franck Laffaille, Université de Paris XIII, CERAP, Sorbonne/Paris/Cité

Name of the Act/s

Décision n°2018-738 QPC du 11 octobre 2018

M. Pascal D. (Absence de prescription des poursuites disciplinaires contre les avocats)

Comment

La profession d’avocat est-elle porteuse d’une spécificité telle que les règles de droit commun en matière de poursuites disciplinaires n’ont pas vocation à s’appliquer ? En d’autres termes, le 1er alinéa de l'article 23 de la loi du 31 décembre 1971 - absence de prescription des poursuites disciplinaires contre les avocats - jure-t-il avec les principes constitutionnels visés aux articles 6 et 16 de la DDHC de 1789 ? Telle était la position des requérants ; telle n’est pas la décision du CC (conformité il y a). Les requérants ne manquent pas de souligner que les dispositions contestées présentent la – discutable – caractéristique suivante : ne pas « enfermer dans un délai de prescription l'action disciplinaire susceptible d'être engagée à l'encontre d'un avocat ». Comment ne pas songer alors à l’existence d’une rupture d'égalité - inconstitutionnelle - avec les autres professions judiciaires ou juridiques réglementées (connaissant, elles, un tel délai sur un fondement législatif) ? Comment ne pas encore songer à une éventuelle atteinte aux droits de la défense, à la sécurité juridique et au droit à la sûreté ?

Comme souvent, le CC n’argumente pas, il postule : « la faculté reconnue au procureur général ou au bâtonnier, par les dispositions contestées, de poursuivre un avocat devant le conseil de discipline, quel que soit le temps écoulé depuis la commission de la faute ou sa découverte ne méconnaît pas, en elle-même, les droits de la défense ». Pourquoi ? Pour quoi ? Pour quelles raisons? Mystère(s).

Les requérants pouvaient espérer trouver refuge dans une autre disposition, l'article 8 de la DDHC de 1789. Non point. Certes, le CC rappelle que les exigences constitutionnelles tirées de cet article 8 « impliquent que le temps écoulé entre la faute et la condamnation puisse être pris en compte dans la détermination de la sanction ». Cependant, il n’existe aucun droit ou liberté garanti par la Constitution imposant « que les poursuites disciplinaires soient nécessairement soumises à une règle de prescription ». Le législateur peut décider, à bon droit constitutionnel, de ne pas instituer une règle de prescription pour une catégorie professionnelle. Etrange rapport au temps qui jure avec notre conception moderne de la sanction, de la réparation, et de l’oubli. Peut-être le CC a-t-il trop pris au sérieux une certaine sémantique professionnelle tirée du code de déontologie (blâme, admonestation paternelle…). L’avocat qui fait montre d’incompétence ou de malhonnêteté réalise une forme de pêché que le temps ne saurait effacer.

Restait à étudier l’argument de la spécificité ontologique du magistère d’avocat. Observateur, le CC constate que « la profession d'avocat n'est pas placée, au regard du droit disciplinaire, dans la même situation que les autres professions juridiques ou judiciaires réglementées ». Cette différence de traitement « repose sur une différence de situation ». C’est-à-dire ? Aucun commentaire autre ne survient. Les avocats devront se contenter de cette affirmation en guise de non démonstration : il existe une différence de situation entre avocats et autres professions judiciaires ou juridiques réglementées (connaissant, elles, des règles de prescription). Cette différence de situation induit – naturellement semble nous dire le juge – un régime disciplinaire différent (ce qui n’est pas en soi problématique, tout est différent dans la vie) et moindrement protecteur (ce qui est contestable) au regard du droit commun (ce qui est hautement contestable). Le CC – comme toujours – décrit ; il ne pense pas. S’il existe une spécificité telle de la profession d’avocat qu’elle « mérite » un régime moins protecteur que les autres professions judiciaires ou juridiques réglementées, il faut alors nous expliquer la teneur de cette spécificité. Il faut alors comparer. Or, rien. Conclusion : le CC fait peser sur les avocats une charge temporelle disproportionnée au regard du principe de sécurité juridique, au regard de la relation Droit/Temps entrevue sous l’angle de la protection des droits fondamentaux.

Le temps n’efface pas le pêché pour l’avocat.

Available Text

https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018738QPC.htm