Conseil constitutionnel Décision n° 2022-1023 QPC 18 novembre 2022 (1/2023)

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M. Mikaël H. (Mise en mouvement de l’action publique pour certains délits commis hors du territoire français)

Conformité

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Selon le requérant, l’article 113-8 du code pénal (rédaction issue de la loi du 22 juillet 1992) – en ce qu’il prévoit un monopole au profit du ministère public afin de poursuivre certains délits commis à l’étranger à l’encontre d’un ressortissant français – serait contraire à la Constitution. La disposition contestée empêche la victime de ces infractions de mettre en mouvement l’action publique. Violation du droit à un recours juridictionnel effectif il y aurait puisque la victime ne peut pas obtenir du juge civil la réparation de son préjudice en raison des difficultés à constituer la preuve de faits commis à l’étranger. En outre, il y aurait méconnaissance du principe d’égalité devant la justice puisque « la faculté de mettre en mouvement l’action publique est ouverte aux victimes de délits commis sur le territoire français ainsi qu’aux ressortissants français victimes de crimes commis à l’étranger ». Le Conseil constitutionnel ne censure pas la loi déférée. Lecture est faite, dans un premier temps, de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Cet article 16 est le socle normatif posant le principe suivant : « il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction ». Quant à la disposition contestée, il est évident – et le juge ne le nie point – qu’elle confère au ministère public le monopole de la poursuite de certains délits ; il s’ensuit que ces dispositions empêchent la partie lésée de mettre en mouvement l’action publique. Point de censure néanmoins. Car ces dispositions ne « privent la partie lésée de la possibilité d’obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits délictueux devant le juge civil ». Il n’y a pas alors, estime le Conseil constitutionnel, méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif. Quid maintenant du grief relatif à la violation du principe d’égalité ? Le Conseil fait lecture de l’article 6 de la Déclaration de 1789 : la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Reliant ensuite cet article 6 (DDHC) à l’article 16 (DDHC), le juge ajoute – jurisprudence classique – que « le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent ». Encore faut-il – jurisprudence là encore classique - que « ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales ». Quid des dispositions déférées à l’aune de ces principes ? Ici, le législateur confère au procureur de la République le monopole des poursuites à l’égard de certains délits commis à l’étranger ; ce faisant, ledit législateur « a entendu, en raison de la difficulté de mener des investigations à l’étranger, laisser à cette autorité le soin d’apprécier l’opportunité de poursuivre des infractions de cette gravité ». A l’aune de ce critère – « la difficulté de mener des investigations à l’étranger » - le juge estime qu’il n’est pas instauré de « distinction injustifiée ni entre les victimes d’infractions commises à l’étranger selon le caractère délictuel ou criminel de l’infraction, ni entre les victimes de délits selon qu’ils ont été commis sur le territoire français ou à l’étranger ». S’il était besoin d’un élément supplémentaire au profit de la non censure de la loi, il est le suivant : « les victimes françaises de délits commis à l’étranger peuvent obtenir réparation du dommage causé par ces délits devant le juge civil ». Et dans l’hypothèse où l’action publique est mise en mouvement, ces victimes peuvent se constituer partie civile au cours de l’instruction (ou devant la juridiction de jugement). Pour le Conseil constitutionnel, elles bénéficient alors de « garanties équivalentes pour la protection de leurs intérêts ». De violation du principe d’égalité devant la justice on ne saurait parler. Les dispositions déférées ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; elles sont conformes à la Constitution.