Conseil constitutionnel, décision n° 2023-1066 QPC du 27 octobre 2023 (3/2023)

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Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1066 QPC du 27 octobre 2023

Association Meuse nature environnement et autres [Stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs]

Conformité

La présente QPC vise l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement (rédaction résultant de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016) relatif aux modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.

Selon les requérants, les dispositions visées ne garantissent pas la réversibilité du stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs au-delà d’une période de cent ans. Cela empêcherait les générations futures de revenir sur un tel choix. Or, il appert que cette atteinte irrémédiable à l’environnement – cf. en particulier la ressource en eau –compromettrait leur capacité à satisfaire leurs besoins. Il y aurait méconnaissance du droit des générations futures à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (cf. l’article 1er de la Charte de l’environnement). Il y aurait encore méconnaissance des principes de solidarité et de fraternité entre les générations, principes que les requérants demandent au juge de consacrer.

 

Le Conseil fait lecture de l’article 1er de la Charte de l’environnement (« Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé »), et du septième alinéa du préambule de cette dernière (« afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins »). De la lecture combinée de l’article 1er et du 7ème alinéa (« l’article 1er de la Charte de l’environnement éclairé par le septième alinéa de son préambule »), il découle que le législateur doit veiller – quand il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé – « à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard ». Si le législateur peut apporter des limitations à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, de telles limitation « doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

Dans le cas présent, la disposition déférée du code de l’environnement fixe le régime applicable à la création et à l’exploitation d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs. Le stockage de déchets radioactifs est soumis – constate le juge - à une exigence de réversibilité, mise en œuvre selon des modalités précises et pendant une durée minimale. Reste qu’un tel stockage de déchets radioactifs comporte un évident risque que le Conseil ne peut éluder : ce stockage peut porter « une atteinte grave et durable à l’environnement » en raison de la dangerosité et durée de vie des déchets. Cependant, cela ne le conduit pas sur le chemin de la censure. Le Conseil s’appuie sur les travaux préparatoires de la loi : le législateur a manifesté la volonté que les déchets radioactifs soient « stockés dans des conditions permettant de protéger l’environnement et la santé contre les risques à long terme de dissémination de substances radioactives » … tout comme il a manifesté la volonté que « la charge de la gestion de ces déchets ne soit pas reportée sur les seules générations futures ». Le juge se contente de bien peu de choses ici : il se contente des déclarations de bonne volonté réalisées par un législateur qui – pardon de la facilité sémantique – ne va pas dire le contraire. Adoptant une – regrettable – position de self-restraint, le Conseil estime qu’il ne lui appartient pas de « rechercher si les objectifs que s’est assigné le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas, en l’état des connaissances scientifiques et techniques, manifestement inappropriées à ces objectifs ». Est-il possible d’opérer motivation plus pharisienne ? Que l’on songe à certains juges d’autres pays qui accueillent ce qu’il est loisible de dénommer théorie du moindre sacrifice : le juge cherche alors s’il est possible – au regard notamment des connaissances scientifiques et techniques – d’atteindre l’objectif voulu par le truchement d’autres voies. Ici, il suffit que le législateur manifeste sa – présumée – responsabilité et s’appuie sur certaines (lesquelles ? Le Conseil est muet) connaissances scientifiques et techniques pour que la loi obtienne un brevet de constitutionnalité (puisque les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées aux objectifs poursuivis).

Le législateur a-t-il institué des garanties suffisantes, garanties permettant aux dispositions déférées de ne pas méconnaitre les exigences de l’article 1er de la Charte de l’environnement tel qu’interprété à la lumière du septième alinéa de son préambule ? Oui, selon le Conseil. Et ce dernier – tel un robot jurisprudentiel – de citer, sans aucune analyse digne de ce nom, les procédures instituées par le législateur. En vertu du code de l’environnement, la création et l’exploitation d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs comporte nombre de garanties suffisantes : stockage en couche géologique profonde des déchets (logique de réversibilité au profit des générations futures) … procédure d’autorisation particulière avec débat public sur la base d’un dossier réalisé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs … avis de l’Autorité de sûreté nucléaire … recueil de l’avis des collectivités territoriales intéressées … évaluation par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques … existence d’une phase pilote permettant de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation … rapport de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (soumis aux mêmes autorités et personnes publiques que celles intervenant au cours de la procédure d’autorisation) … délivrance de l’autorisation de mise en service complète de l’installation à la condition que la réversibilité du centre de stockage soit garantie dans les conditions prévues par la loi … participation des citoyens tout au long de l’activité du centre de stockage via une mise à jour (tous les cinq ans) d’un plan directeur portant sur son exploitation.

A l’aune de cette litanie jurisprudentielle, on entrevoit combien la culture herméneutique du juge constitutionnel français est faite de formules administrativo-procédurales. Le raisonnement du Conseil constitutionnel sur les questions environnementales et de santé est synonyme d’un vide abyssal argumentatif. Cela lui permet – en renonçant à accomplir la noble mission qui, en principe, lui échoit – de se transformer en auxiliaire du couple Parlement-Exécutif. Et de développer une triste jurisprudence peu pro-nature. Que l’on comprenne bien : il ne s’agit pas de critiquer le choix axiologique du Conseil, il s’agit de dénoncer ses carences argumentatives, sa propension à éluder toute réflexion au profit d’une méthode formaliste. Se contenter de lire le texte de loi que l’on est censé analyser – pour constater, sans guère d’arguments éclairants, qu’il est empli de garanties rassurantes - ne s’apparente guère à la mission interprétative d’un juge constitutionnel.