France

Conseil d’Etat. Association Alliance citoyenne et autres. Ligue des droits de l’homme. Décision du 29 juin 2023 (2/2023)

Conseil d’Etat. Association Alliance citoyenne et autres. Ligue des droits de l’homme. n°458088, 459547, 463408.

Décision du 29 juin 2023.

Le Conseil d'État rejette les requêtes concernant l'interdiction par la Fédération française de football du port de «tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale » lors des matchs.

Plusieurs associations demandent au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 31 août 2021 en vertu de laquelle le président de la Fédération française de football (FFF) a rejeté leur demande. Elles demandaient l’abrogation ou la modification de l’article 1er des statuts de la Fédération interdisant le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse lors des compétitions ou de manifestations organisées par la FFF. L’article 1er dispose : « La Fédération et ses organes déconcentrés, en tant qu’organes chargés d’une mission de service public déléguée par l’Etat, défendent les valeurs fondamentales de la République française et doivent mettre en oeuvre les moyens permettant d’empêcher toute discrimination ou atteinte à la dignité d'une personne, en raison notamment de son sexe, de son orientation sexuelle, de son origine ethnique, de sa condition sociale, de son apparence physique, de ses convictions ou opinions. / Par ailleurs, le respect de la tenue règlementaire et la règle 50 de la Charte olympique assurent la neutralité du sport sur les lieux de pratique. / A ce double titre, sont interdits, à l'occasion de compétitions ou de manifestations organisées sur le territoire de la Fédération ou en lien avec celles-ci : / - tout discours ou affichage à caractère politique, idéologique, religieux ou syndical, /- tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale, / - tout acte de prosélytisme ou manoeuvre de propagande, / (…) ». Les associations demandent encore que le Conseil d’Etat enjoignent à la FFF de modifier ses statuts dans l’hypothèse où le juge fait droit à leur demande.

Selon les requérantes, la FFF ne saurait procéder à une telle interdiction (« le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse »). Seul législateur peut – en vertu de l’article 34 C. – limiter les libertés de conscience, de d’expression, et de culte en imposant une obligation de neutralité aux personnes participant à des compétitions et manifestations sportives. Une telle obligation de neutralité n’aurait pas lieu d’être en l’absence de toute considération tirée du bon fonctionnement du service public ou d’impératifs d’hygiène ou de sécurité. Les personnes participant à des compétitions et manifestations sportives – qui revêtent la qualité d’usager du service public délégué à la Fédération – doivent pouvoir exprimer leurs opinions religieuses. Il n’est aucunement porté atteinte au respect de l’ordre public et au bon déroulement des compétitions sportives. L’interdiction posée par la FFF - interdiction du port de tout signe religieux pendant les matchs - porterait atteinte à l’article 9 de la Convention EDH : la limitation à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ainsi opérée ne serait aucunement nécessaire à sécurité publique, la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui (cf. le § 2 de l’article 9 de la Convention EDH). Seraient en outre méconnus les articles 10 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE) : restriction il y aurait dans le droit des croyantes musulmanes de manifester leur religion sans que cela réponde à l’exigence de nécessité, sans que cela renvoie à un objectif d’intérêt général, sans que cela soit prévu par une norme de valeur législative. L’interdiction instituée n’entrerait pas dans le champ des limitations prévues à l’article 52 de la CDFUE. La ratio de cette dernière ne saurait être trouvée dans l’article 50 de la Charte olympique ; non seulement celle-ci est dépourvu d’effet direct en droit interne mais, de surcroît, elle ne peut servir de fondement de fondement pour interdire aux femmes de porter des vêtements de nature religieuse. Pour en revenir au droit interne, les associations demanderesses estiment que l’interdiction est entachée d’erreur manifeste d’appréciation : il n’existe aucune considération tirée du bon fonctionnement du service public, de la sécurité des joueurs, de l’hygiène, ou de l’ordre public (y compris dans sa composante immatérielle ou dans le cadre d’une déclinaison sportive) justifiant une telle prohibition. Les associations requérantes ajoutent que l’interdiction de signes religieux lors de manifestations sportives ne peut être justifiée par la nécessité de « prévenir des dérives communautaires et des actes de radicalisation religieuse » ; de même, la prohibition posée ne peut être justifiée par la nécessité d’éviter des troubles dans les compétitions féminines ou pour prévenir les violences dans le football féminin. L’argument de l’égalité – interdire le port de signes religieux pour promouvoir l’égalité homme/femme – ne saurait être réceptionné selon les associations requérantes. Ces dernières ajoutent que l’interdiction instituée ne serait pas proportionnée eu regard de ses conséquences : l’exclusion des terrains sportifs des femmes portant le hijab pour des raisons religieuses et/ou culturelles. Défaut de proportionnalité il y aurait encore en ce que l’interdiction n’est pas limitée aux épreuves sportives ; elle s’étend à l’ensemble des manifestations organisées par la FFF (avant et après les épreuves, en dehors des terrains). La discrimination engendrée par la prohibition serait également de nature « indirecte » : les femmes portant le hijab sont traitées de manière moins favorable que les femmes ne revêtant pas un signe religieux. La différence de traitement instituée ne serait pas justifiée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité en cause.

Selon la FFF, le juge administratif n’est pas compétent pour connaître d’une demande tendant à la modification de ses statuts. Si, par extraordinaire, le juge administratif se reconnaît compétent, celui devrait déclarer infondés les moyens de la requête.

Le Conseil d’Etat se prononce en premier lieu sur sa compétence. Il rappelle que les décisions des fédérations sportives - personnes morales de droit privé – relèvent de la catégorie des actes de droit privé. Cependant, on ne saurait oublier que ces fédérations sportives se voient confier – « à titre exclusif » et par le truchement d’une délégation – une mission de service public à caractère administratif (cf. les articles L. 131-15 et L. 131-16 du code du sport). Les fédérations sportives possèdent des prérogatives de puissance publique afin de réaliser les missions qui leur sont dévolues ; à ce titre, elles accomplissent des actes présentant le caractère d’actes administratifs. Ce raisonnement administrativiste prévaut nonobstant la nature et les statuts des fédérations sportives. La FFF a reçu délégation du Ministre des sports pour intervenir dans le champ normatif et matériel qui est le sien. Le juge administratif est compétent pour apprécier la régularité des décisions par elle adoptée dès lors qu’elles manifestent l’usage de prérogatives de puissance publique dans l’exercice de sa mission de service public. Dans le cas présent, les dispositions contestées – interdisant le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale – ont été intégrées au sein des statuts de la FFF. Elles ont été adoptées en application des prérogatives de puissance publique en vue de l’accomplissement d’une mission de service public : l’organisation de compétition. Elles présentent bien un caractère administratif ; le juge administratif est compétent pour apprécier leur régularité.

Le juge administratif étant compétent, quid de la régularité des dispositions statutaires ? Le Conseil d’Etat fait lecture :

-de l’article 10 de la DDHC de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi »,

-des trois premières phrases du 1er alinéa de l’article 1er de la Constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances »,

-de l’article 9 de la Convention EDH : « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. / 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui »,

-de l’article 10 de la Convention EDH: « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. (…) / 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire »,

- de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées [ci-après] dans l’intérêt de l’ordre public »,

- du I de l’article 1er de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : « Lorsque la loi ou le règlement confie directement l'exécution d'un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci est tenu d'assurer l'égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu'ils participent à l'exécution du service public, s'abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses, traitent de façon égale toutes les personnes et respectent leur liberté de conscience et leur dignité. / Cet organisme veille également à ce que toute autre personne à laquelle il confie, en tout ou partie, l'exécution du service public s'assure du respect de ces obligations. / (…) ».

Le juge met en exergue le fait que la FFF exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction sur ses agents ou sur différentes personnes (celles qui participent à des manifestations sportives organisées par la FFF). Une fois rappelée cette évidence normative, le Conseil d’Etat s’appuie sur le dernier texte cité, la loi du 24 août 2021. En vertu de ce texte (confortant le respect des principes de la République), une fédération sportive - délégataire de service public – doit adopter toutes les dispositions nécessaires pour que ses agents et les personnes participant à l’exécution du service public s’abstiennent de toute manifestation de leurs convictions et opinions. Le commande le principe de neutralité du service public : puisque la FFF exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction sur ses agents et les personnes concernées, lui échoit l’obligation de garantir la neutralité du service public. Les personnes qui sont sélectionnées par la FFF dans les équipes de France sont « mises à sa disposition et soumises à son pouvoir de direction pour le temps des manifestations et compétitions auxquelles elles participent » ; dès lors, ces personnes s’avèrent soumises au principe de neutralité du service public.

Quid des autres licenciés de la FFF ? Puisque la FFF dispose du pouvoir réglementaire (dans les domaines définis par le législateur) pour l’organisation et le fonctionnement du service public qui lui a été confié, elle est compétente pour déterminer les règles de participation aux compétitions et manifestations sportives qu’elle organise. Parmi ces règles – souligne le juge – on compte celles permettant d’assurer, lors des matchs, la sécurité des joueurs et le respect des règles du jeu ; à ce titre, la FFF réglemente tout ce qui touche aux équipements et tenues. Limitation de la liberté des licenciés il peut y avoir quand bien même ils « ne sont pas légalement tenus au respect du principe de neutralité du service public ». Il est possible d’édicter des règles limitant les libertés des usagers, notamment la liberté d’expression des opinions et convictions « si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et libertés d’autrui, et adapté et proportionné à ces objectifs ».A l’aune de ces éléments, la FFF peut à bon droit interdire « tout discours ou affichage à caractère politique, idéologique, religieux ou syndical », ainsi que « tout acte de prosélytisme ou manoeuvre de propagande » dès lors qu’ils apparaissent susceptibles de faire obstacle au bon déroulement des matchs. Selon le Conseil d’Etat, en interdisant le « port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale », la FFF a adopté une mesure « nécessaire » pour assurer le bon fonctionnement des matchs de football. La prohibition édictée a en effet pour finalité de prévenir « notamment tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport ». La régularité de la disposition contestée se mesure encore à l’aune de sa limitation dans le temps et dans l’espace (jurisprudence classique du juge administratif) : elle est « limitée aux temps et lieux des matchs de football ». L’interdiction n’est pas allée au-delà de ce qui semble nécessaire : elle est qualifiée d’« adaptée » et de « proportionnée ».

Les prétentions des associations requérantes sont rejetées.

Osservatorio sulle fonti

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